“Anantakara flirte constamment avec les limites de notre tolérance pour jouer dans les champs du psychédélisme acoustique”
1 She Holds a Thousand Souls 8:54
2 In Whose Hand is the Always 7:44
3 Lady of the Sycamore 6:14
4 She Who Bore the Gods 9:22
5 One Who Hears 4:08
(DDL 36:22)
(Tribal, Neo-classical)
Je suis devenu un grand fan de Anantakara depuis que j'ai découvert Momentum Lapses en 2018. Le musicien Belge n'a pas son pareil pour introduire des ver-d'oreille qui nous hantent sans trop savoir d'où ils proviennent lorsqu'on le fredonne quelques semaines et/ou mois plus loin. NEWT [At Whose Feet is Eternity] est un album de néo-classique assez troublant qui est centré sur le mythe de Nut, la déesse égyptienne du ciel et de la nuit. Nut avait la particularité d'avalé le soleil chaque soir pour lui donner naissance à chaque matin. On ne peut avoir une vision plus onirique d'un dieu ou d'une déesse! Chaque titre composé par Philippe Wauman est inspiré par des épithètes que les anciens Égyptiens lui psalmodiaient. Nous sommes loin des frontières de la Berlin School ici, sauf que Anantakara aime toujours y ficelé quelques liens, notamment dans ses structures de rythme. Et comme toujours, il y a un réel danger d'accoutumance d'écoute en écoute. En fait, Anantakara me fait de plus en plus penser à une fusion de Philip Glass et de Mike Oldfield, dans une vision plus acoustique, tout en répandant très bien toute la diversité de la MÉ fait en Belgique.
Furtivement, She Holds a Thousand Souls avance au poids d'une contrebasse marchant côte-à-côte avec de sobres accords de clavier. Sinistre et troublant, cette lente procession est constituée de l'art minimaliste avec un violon et un violoncelle s'y collent, taillant leurs harmonies dans une soie de frayeur mélancolique. Et c'est au tour du piano de marteler ses notes franches et tremblotantes et de leur infliger un destin de douleurs qui se dirige au même endroit que cette contrebasse disparue du décor. Elle réapparait après un pont de brises cérémoniales dans une seconde partie obsédante de She Holds a Thousand Souls qui s'anime d'une énurésie électronique avant de terminer sa marche dans un décor plus spirituel. C'est dans l'écho des notes de la contrebasse que In Whose Hand is the Always s'égosille dans une corne d'abondance sonore, créant les couleurs et l'effet d'un majestueux arc-en-ciel. Le titre épouse par la suite cette merveilleuse débandade rythmique que Edgar Froese gratifiait nos oreilles dans son merveilleux Stuntman. Basse élastique et percussions shamaniques, In Whose Hand is the Always structure un superbe transe ambiant dans une vision rythmique de Berlin School avec une plus que séduisante vision acoustique. Ça c'est en plein le genre de titre qui nous obsède d'écoute en écoute, tant son enveloppe musicale est riche et protéiforme au niveau des instruments et surtout de leurs nuances dans les tons.
La musique de Lady of the Sycamore sied très bien à l'image qu'on peut avoir du titre dans sa vision noir et blanc de Picture Palace Music. La basse résonnante tisse une texture patibulaire sur un rythme zigzagant constitué en une série de riffs circulaires. Un piano perce ce velum teinté de feutre et masqué de réverbérations, alors que rôde une folie latente. Le rythme qui en sort s'appuie sur le mouvement circadien d'un métronome peinant à maintenir le cap dans une texture de chevrotements et de murmures fantomatiques. C'est le genre de titre qui demande quelques écoutes. Et c'est un la même chose avec She Who Bore the Gods, sans contredit le titre le plus troublant et complexe de NEWT [At Whose Feet is Eternity]. L'ouverture s'appuie sur les phases d'hésitations entre la basse et le piano versus le moteur des ambiances souvent fantasmagoriques qui sont usuelles dans ce court album de 37 minutes. La basse et le piano sont en évidence alors qu'un étrange chant, un peu comme dans In Whose Hand is the Always, étend son voile de caquètements légèrement enrhumés. Anantakara nourrit ce cercle ayant développé une certaine cohésion harmonique avec des nappes de violons dont les courts staccatos ambiants se font picorer par des cliquetis percussifs dansant aussi sur des accords de piano. Chaque nouvel élément effaçant un autre, on se retrouve seul avec la basse pour un second tour. Le piano reprend sa ritournelle dans une lente finale aux teintes de Jazz et de musique cinématographique pour un film en noir et blanc rempli de ces filaments, auditifs ici, qui lui donnent cette apparence du névrosé obsessionnel. Le seul faux-pas de cet album dont la joyeuse conclusion s'effectue avec ce duo piano et contrebasse dans une harmonie plus que facile à siffloter de One Who Hears.
Pas toujours évident mais tellement séduisant, Anantakara flirte constamment avec les limites de notre tolérance afin de jouer dans les champs du psychédélisme acoustique pour enfin proposer en NEWT [At Whose Feet is Eternity] ce fabuleux voyage où la musique n'a plus de frontières.
Sylvain Lupari (22/02/21) ****¼*
Disponible chez Aural Films Bandcamp
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