“Blackouts est tout aussi bon que New Age of Earth et c'est un chef-d'œuvre intemporel du mouvement minimaliste vintage de la Berlin School”
1 77 Slightly Delayed 6:39 2 Midnight on Mars 6:51 3 Don't Trust the Kids 3:14 4 Blackouts 4:36 5 Shuttle Cock 8:29 6 Lotus Part I-IV 16:54 Polydor France
(CD 46:43) (V.F.) (Vintage Berlin School)
New Age of Earth avait frappé un grand coup! Une MÉ sans séquenceur, juste avec des effets de guitares et de synthés où les rythmes étaient finement cousus dans un travail hautement esthétique de Manuel Gottsching. C'était juste avant que Manuel acquière un séquenceur. Et c'est pour ça que les premiers accords de 77 Slightly Delayed nous distancent tellement de cet album. Bien que les deux opus, les trois en fait si l'on tient compte de Inventions For Electric Guitar, soient intimement liés par la recherche identitaire de Gottsching, BLACKOUTS et ses structures de rythmes syncopés, réorientera la musique de Manuel Gottsching qui retrouvera les repaires d'Ashra dans l'album suivant Correlations. Car il ne faut pas se leurrer, ce BLACKOUTS est le 3ième album solo de Manuel Gottsching. On peut bien ajouter Dream and Desire. Mais c'est une autre histoire...
77 Slightly Delayed démarre donc l'aventure avec une pléthore de claquements et de pulsations aux étranges tonalités imbibées d'un liquide industriel, un peu comme si quelqu'un courait dans un tunnel les espadrilles mouillées. Il en ressort une ligne de basse séquences qui ondule fiévreusement et dont les ions dansent avec les riffs en boucles d'une guitare qui harmonise sa texture de rythme avec un synthé aux vielles tonalités analogues. Fidèle à sa vision, Göttsching multiplie les boucles de sa guitare, autant dans les riffs que dans les harmonies, sur un tempo vivant qu'il cisèle aussi de suaves solos chirurgicaux. Des solos précis qui chantent plus qu'ils improvisent dans des textures aussi éthérées, parfois même ésotériques, que ces nappes de synthé qui ajoutent à 77 Slightly Delayed une profondeur interstellaire. C'est un peu comme si Manuel voulait absolument amener les restes de Nightdust ici. Et ça sera encore plus représentatif dans Lotus. Les gazouillis et les bruits cybernétiques qui ouvrent Midnight on Mars sont une parure superficielle de l'époque à ce qui devait devenir un classique dans le répertoire de Manuel Göttsching. Ces fascinants bruits (nous sommes en 78) débouchent vers une forme de rythme qu'une ligne de basse attrape au vol en accentuant un délicieux mouvement de sensualité. Les tsitt-tsitt des cymbales grelottent sur une superbe ligne de basses séquences aussi envoûtante qu'un ondulant groove cosmique lascif et sybarite. Manuel arrose cette structure de rythme, qui est aussi très mélodique que cosmique, avec des solos de guitare bluesy et inspirés. La délicatesse de Göttsching dans ses solos est tout simplement captivante, sinon dévorante. Don't Trust the Kids nous amène à un autre niveau avec des séquences qui sautillent dans un genre de cha-cha robotique. On dirait des loups robots dansant un cha-cha chaotique. Un synthé sifflote une mélodie paisible qui se fait picorer par les riffs en boucles de la six-cordes. Le mouvement est délicatement sec et hachuré alors que le synthé étend un baume de sérénité. Une fusion entre les tonalités du synthé et de la six-cordes éclate un peu après la barre des 3 minutes, arrosant ce cha-cha intergalactique de copieux solos aux parfums ambigus. La pièce-titre s'arrime à Don't Trust the Kids en versant des solos de guitare plus éthérés et en accélérant une figure de rythme devenue nettement plus électronique.
Shuttle Cock propose une structure plus nerveuse avec un maillage de séquences et de percussions dont le débit structure une approche de danse fracturée. C'est un peu l'ancêtre de ce qu'allait devenir Twelve Samplers. C'est vivant et Manuel appose ses riffs qui grignotent la nervosité du rythme tout en épandant des beaux solos qui deviennent plus agressifs à mesure que Shuttle Cock progresse. Il y a une belle permutation des rôles de la guitare et du synthé vers la 5ième minute où les brumes synthétisées et la guitare, plus soyeuse ici, apporte une touche plus astrale, plus cosmique planant au titre. Et ce même si le rythme tente de renverser la vapeur. J'ai toujours aimé les longues structures. Dans les mains d'artistes créatifs, elles explosent d'ingéniosité avec de superbes progressions et d'étonnants revirements dans son évolution. C'est exactement la grandiloquence de Lotus Part I-IV. Après une courte intro, qui allume en moi ce désir de réentendre Ocean of Tenderness, des séquences basses palpitent nerveusement alors que le synthé crache encore son parfum d'ésotérisme. La guitare! Elle survole le tout avec de majestueux solos, calmant un peu le mouvement convulsionnaire, en s'associant à un synthé qui, habilement, emprunte la même délicatesse harmonique. C'est de la grande MÉ. Certes, certains trouveront agaçant cette phase hyper spasmodique et bruiteuse qui terrorise les ambiances avec une agressivité peu commune autour des 6:40 minutes. Mais c'est un passage obligé dans la mutation de Lotus Part I-IV qui par la suite roucoule avec autant de sérénité qu'Ocean, mais avec plus de vélocité dans le rythme. Du bonbon!
BLACKOUTS est du véritable bonbon pour les oreilles qui, plus de 35 ans plus loin, conserve ce cachet unique que Manuel Göttsching avait d'unifier ses structures minimalistes, ses rythmes spasmodiques et ses ambiances éthérées dans un chassé-croisé sonique que peu d'artistes ont atteint. On parle souvent de Klaus Schulze et de Tangerine Dream et on a tendance à oublier l'impact de Göttsching dans l'échiquier de la MÉ. Sa musique était et est toujours une porte d'entrée pour des structures qui s'actualisent au gré des époques et des modes. Magnifique! Et une fois que vous aurez la piqure, BLACKOUTS tournera en boucles dans votre tête.
Sylvain Lupari (22 Septembre 2015) *****
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