“Complexe, mais il a tous les atouts pour être apprivoisé chapitre par chapitre”
1 *hypnonaut 11:40
2 *last igloo before darkness 8:38
3 *and miles to go before I sleep 6:21
4 *moth of the outernet 4:18
5 *we are sleep 14:29
6 *pyjama hippie society 10:45
7 *somnotopia 6:33
8 *schlaf strahler - sleep radiator 16:00
(DDL 78:48)
(Dark ambient, cinematic)
Aujourd'hui, je vous propose une expérience musicale hors du commun. Derrière une splendide pochette représentée par une peinture du peintre Français Eugène Anatole Carrière, Sleep 1986, se cache un gros 79 minutes d'une musique électronique (MÉ) qui se veut un voyage dans l'espace du sommeil auditif de Nico Walser, claviériste de Electric Mud, et de son projet solo Giant Skeletons. Ici, il n'y a pas de frontières! Seulement des songes mis en musique et sous différentes formes sonores qui entraînent l'auditeur dans un troublant voyage au cœur des rêves du musicien Allemand. Les rythmes? Ils sont rarissimes et prennent plutôt la forme de ritournelles cadencées qui tournoient majoritairement dans des cercles hypnotiques. Les ambiances sont puisées dans l'irréalisme, si une forme d'art pouvait avoir ce nom. Adepte des enregistrements de la nature, Nico Walser immerge sa musique dans des tonalités dont les significations sont différentes entre le penseur et celui qui recueille les pensées. Ça donne des ambiances où les ténèbres prennent une autre forme sous d'autres couleurs tonales. Les effets sonores très créatifs créent des ambiances qu'on peut aisément confondre avec une vision d'horreur, sinon à des ambiances menaçantes pour l'équilibre mentale. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans la tête d'un dormeur ici. Bien que conscient que SLEEP TIDES n'a rien à voir avec le genre, son côté théâtrale noir et blanc nous plonge dans l'inconscience d'une peur oubliée sur un chemin que jamais nous voulions reprendre. Chronique d'un album dont les charmes sont insidieux!
Splendide, *hypnonaut nous place tout de suite dans le troublant contexte de SLEEP TIDES. Sur une onde de synthé qui vacille en arrière-plan, et dont la texture translucide nous place dans une ambiance purement sibylline, Nico Walser colle cette obsédante comptine Anglaise Row Row Your Boat. Pas de paroles, juste le fredonnement qui enjolive les ambiances avec une texture plus diabolique qu'enfantine. L'impression d'être entré dans la tête du claviériste de Electric Mud est plus que tangible. La musique est tissée dans l'ombre d'effets sonores et des nappes de synthé obituaires qui ondoient comme un fanion à la recherche de vent. On voit ce navigateur solitaire qui traverse vents et marées tout en fredonnant cette chansonnette alors que sa vie est sur le point de se clore. Terrifiant et simplement obsédant! Le titre s'échoie sur une phase atmosphérique un peu avant la 5ième minute. La chansonnette est toujours aussi obsédante alors que *hypnonaut passe d'une couleur bleue de Klein à celle plus sombre, noire et menaçante de ces vibrations stationnaires dont les bourdonnements équivalent à ce silence mortuaire après une catastrophe. Les plus longues structures de l'album sont entrecoupées par des phases atmosphériques gorgées de bruits insolites, d'échantillonnages et d'effets théâtraux en noir et blanc, genre les débuts de Picture Palace Music. Mais il faut absolument persévérer car même sans vie, la musique ici recèle de passages troublants. *last igloo before darkness en est un exemple parfait. Ce titre lent fait ramper sa carcasse lourde d'ambiances ténébreuses dans un corridor remplit par des craquements et des nappes de synthé gothique qui flottent sous les charmes d'une savoureuse texture de basse à la Patrick O'Hearn. Elle fait traîner ses souffrances dans un autre délicieux panorama cinématographique, plus musicale ici, d'une nuit sombre sur le bord d'un lac hanté. Le maillage de la basse à l'ornement vocal des pads de synthé est d'une fascinante et troublante beauté. Une mélodie s'élève de ces ambiances, donnant du lustre plus moiré à ce titre qui se développe en une procession cadencée jusqu'à son arrivé dans un panorama rempli d'artifices et d'effets sonores un peu après la 5ième minute. On peut y entendre des froissements, des pas dans la neige, des explosions feutrées, des railleries de canards, des clapotis d'eau et autres éléments qui témoignent que Nico Walser est un adepte des enregistrements de la nature. Ces éléments donnent une touche fantasmagorique aux 79 minutes de SLEEP TIDES.
Je vais couper court dans les détails! *and miles to go before I sleep propose une belle structure de rythme d'un genre Berlin School avec une nasillarde mélodie enfantine qui rappelle l'univers de Johannes Schmoelling, le piano aussi en passant. Le continuel mouvement de va et vient du séquenceur sculpte un rythme ascensionnel qui fini par s'égarer dans un mélodieux et bref passage atmosphérique. Les différents bruits de la nature sont en symbiose avec la vision plus enjouée, moins sombre, d'un très bon titre qui fait entendre du beau piano et qui se termine avec un rythme plus entraînant. *moth of the outernet poursuit l'opération charme avec une fascinante texture du séquenceur qui déroule un rythme mélodique sous forme de spirale et de ritournelle séquencée dans une ambiance pour film de peur qui me fait penser à ces vieux dessins animés muets. Les séquences dansent de la claquette sur un xylophone, structurant un rythme vivant qui travers ses moments ombrageux et menaçants. Un peu plus et je vois ce cochonnet chasseur de papillons pénétrer une forêt aux milles sortilèges de peur. Long titre atmosphérique secoué par de brusques phases de rythmes sans statuts, *we are sleep laisse passer une légion de drones bourdonnants qui accueillent une étrange voix qui en est à ses derniers râles. Ici, les mouches bourdonnent comme les oiseaux pépient dans une lourde ambiance que des arrangements rendent encore plus propice à une crise de schizophrénie. Honnêtement, c'est un titre difficile à apprivoiser mais dont les effets sonores lui donnent cette dimension qui attire et justifie au final notre curiosité auditive. Autre très bon titre, *pyjama hippie society déploie ses immuables nappes de synthé anesthésiantes. Un très beau piano place ses notes cristallines qui tintent en créant une vision d'enchantement perturbée par des élucubrations d'un guimbarde. La paix d'esprit et la tourmente se confrontent dans ces 11 minutes où nous sommes littéralement dans les rêves de Nico. On peut même entendre une fille demander s'il dort. Deux couches de mélodies superposées sont à l'origine de *somnotopia, un titre lent et mélodieux dont l'intensité est ensorcelante. Le synthé continue d'injecter couche par-dessus couche tout en tissant des boucles qui roulent avec une essence de mélodie dont l'acuité dévisse les tympans. Une délicieuse structure de rythme ascendant, toujours pensée sous forme de comptine ou de ritournelle, se pointe autour de la 3ième minute. Elle déroule ses charmes jusqu'à se faire avaler par une finale tintamarresque remplie de bourdonnements. Du haut de ses 14 minutes, *schlaf strahler - sleep radiator est le gros titre de SLEEP TIDES. Un mélange de Redshift et ['ramp], la structure se développe lentement avec de bons éléments percussifs, tant au niveau des cliquetis que des effets sonores, sur un tapis de résonnance qui pourrait bien provenir de la lourdeur d'un gros Moog. Un mellotron jette une délicieuse ode parfumée d'une flûte chevrotante dans un décor chtonien des plus délicieux. C'est comme suivre une procession de condamnés marchant vers la mort. Cette lente et lourde parade cadencée entreprend un virage atmosphérique autour de la 6ième minute. Ce passage de plus ou moins 3 minutes exploitent toujours un panorama luciférien avec des nappes de synthé qui flottent et dérivent dans un corridor où résonnent des effets sonores percussifs. Un peu comme ces longues structures dans SLEEP TIDES, *schlaf strahler - sleep radiator erre entre la complexité des moments d'ambiances bruitaux et ténébreux ainsi que des phases séraphiques, qui mettent en relief une superbe voix en passant, sans oublier une secousse rythmique passagère. Bref, de tout afin de créer un climat contagieux qui irradie à la grandeur de cet étonnant album de Giant Skeletons.
Même si son degré de complexité pourrait effrayer certains d'entre vous, SLEEP TIDES possède ces attributs d'un très bon conte musical qu'il faut découvrir et apprivoiser chapitre par chapitre. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans les frontières musicales d'un rêveur qui nous propose d'écouter ses rêves. Une histoire pas banale dont les dimensions respectent le cadre d'un album d'une incomparable richesse sonore, atmosphérique et musicale qui vaut amplement le détour.
Sylvain Lupari (26/09/22) *****
Disponible au Giant Skeletons Bandcamp
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