“Il n'y a pas une seule seconde de perdu dans cet album qui, je crois, est ce que l'on peut appeler un album intemporel”
CD 1 (Live 2000)
1 Live at Jodrell Bank 45:22
a Mysterious Sounds (6:52) b Space (10:22)
c Firewalker (21:31) d Shadows (6:35)
2 Beyond the Sea 21:37
3 Tempus Fugit 7:11
CD 2 (Live 2001)
4 Da Capo 31:24
5 Tanz Der Elfen 22:24
6 Chill Out 18:48
(CD-r 146:54) (Berlin School)
La première présence de Keller & Schönwälder aux célèbres soirées de MÉ tenues au Jodrell Bank de Leicester (Angleterre) fut longtemps décrite comme la meilleure performance du duo Allemand, et aussi comme l'une des plus marquantes, dans le cadre de ces soirées produites par Dave Law, l'un des pionniers de la MÉ anglaise. Deux albums furent extraits de ce concert; The Reason Why Part One (2000 Manikin| MRCD 7050) The Reason Why Part Two (2001 Manikin| MRCD 7057). Et le temps faisant son œuvre, les CD ont tous été vendus et sont devenu discontinués depuis belle lurette. Fidèle à ses habitudes de ressusciter les œuvres marquantes dans l'histoire de la MÉ contemporaine, le label allemand SynGate fait renaître les deux albums sous un même coffret double CD intitulé THE FREASON WHY…LIVE AT THE JODRELL BANK. Une très belle initiative car la version MP3 que Synth Music Direct, le label de David Law, avait mis en vente en 2006 m'avait laissé un goût amer. Un goût maintenant oublié car THE FREASON WHY…LIVE AT THE JODRELL BANK est de loin une des œuvres les plus séduisantes que Detlev Keller et Mario Schönwälder ont signé à l'aube des années 2000. On retrouve les albums en téléchargement sur le site Bandcamp de Manikin.
Originalement scindé en 5 parties, Live at Jodrell Bank amorce ce voyage dans le temps avec des ondes de synthé qui flottent parmi des échantillonnages de la NASA. Et c'est pas parce que c'est ambiant que c'est dénué d'intérêts. L'intro flotte avec ses doubles couches de synthé parmi des gazouillis intergalactiques. Rejoint par une belle ligne de flûte rêveuse, le ballet des lignes morphiques étend son aura de mysticisme jusqu'à ce que l'intro plonge dans une phase de dialecte des synthés. Et la chaleur inonde l'espace avec des chœurs flottants qui fredonnent dans des brumes sibyllines, terminant les 17 premières minutes d'une intro que l'on n'a pas entendu passer. Et les séquences arrivent. Pistonnées qu'elles sont par une approche très Dreamienne, l'auditeur sent revivre les souvenirs de Encore avec ces ions grassouillets qui pétillent de résonnances, elles dévalent le cosmos à vitesse grand V. Le rythme qu'elles forgent est inconsistant. Tantôt féroce, tantôt pondéré et tantôt stationnaire, il nous gave les oreilles de sa férocité inconnue alors que les souffles de synthés symphoniques et les chœurs chtoniens nous entraînent dans les ténébreux méandres de Tangerine Dream. Seuls les ions dégorgeoirs, et ceux plus limpides qui dansent avec affolement, nous ramènent à la réalité de Keller et Schönwälder. Et là la colère des synthés jaillit avec des mugissements babyloniens que des souffles plus flûtés tentent d'apaiser alors que subtilement Live at Jodrell Bank dévie dans les hautes sphères de Klaus Schulze. Et ça mes amis, ça vaut l'achat du CD car les prochaines minutes seront non seulement infernales mais elles nous nourriront d'une stupéfiante symbiose entre les différences des grands noms de la vintage EM; Tangerine Dream et Klaus Schulze. Pour moi c'est du jamais entendu. Les fumants solos torsadés crachent un dialecte électronique sur un rythme soutenu par ces ions pulseurs dont les lignes parallèles ne sont jamais en concordance. Et Live at Jodrell Bank de tempêter dans une furieuse structure de rythme pour près de 30 minutes. Du rythme fou et complexe qui augmente d'un cran à intervalle régulier pour finalement rendre ses séquences vers la 40ième minute, là où ce puissant moment magique s'arrête dans des brumes irisées. Puissant, magique et absolument délirant! C'est dans la confusion de lignes flûtés, sombres et ténébreuses comme des couches d'orgues que l’intro ambiante de Beyond the Sea, 2ième rappel de ce concert, se faufile dans nos oreilles. De furtifs accords de séquenceur sculptent un rythme sec qui fait du Tango sur une structure de rythme broyé par des tonnerres. Keller et Schönwälder embrassent ce rythme hésitant avec une panoplie de lignes aux tonalités aussi sombres qu'harmonieuses avec des lignes flûtées et de chœurs obscurs qui fredonnent sur de délicates partitions de piano. On sent que le concert tire à sa fin car le duo offre des titres plus calmes, comme pour chasser les démons qui tisonnent les pieds des spectateurs toujours affamés. Tempus Fugit clôturait ce concert avec un titre noir et très ambiant où des lignes de vieux orgues de cathédrales inondent nos oreilles. Jouant sur les nuances et tonalités, le duo exploite le côté obscure des orgues avec un doigté qui repoussera les fans jusqu'à la sortie. C'était effectivement un dernier rappel.
Des carillons tintant dans des souffles séraphiques ouvrent Da Capo. Ce titre qui suivait le puissant Live at Jodrell Bank propose une intro d'ambiance avec des lignes de synthés aux roucoulements soloïques et d'autres aux parfums orchestraux qui survolent ces tintements de prismes argentés qui peu à peu forment un étrange rythme saccadé. Un rythme squelettique aux couleurs du prisme qui galope maladroitement sous des stries un brin absconses. Une ligne de basse séquence s'arrime à ce rythme. Faisant onduler ses accords elle donne plus de profondeur et de nuance à un rythme qui brille de ses paillettes polyèdres. Les cliquetis de cymbales chantent sous les brumes azurées alors que le piano de Keller étend une mélodie qui fragmentera son beauté tout au long de Da Capo qui continue son magasinage des tonalités et des percussions pour offrir du rythme pur qui sautillent et hoquètent sous les assauts d'un synthé aux solos efficaces, aux brumes chtoniennes et aux nappes séraphiques. Enregistré lors d'un concert à Lüdenscheid, Tanz Der Elfen propose une structure minimaliste légèrement comparable à Da Capo. La première partie est très hypnotique avec ses accords qui se pilent dessus en rapide pas-de-deux, moulant un rythme sautillant qui emmagasine les pulsations contigües. L'enveloppe harmonique est nourrie par des lignes de synthé aux arômes orchestrales, des lignes flûtées un brin saccadées et des arpèges miroitants qui scintillent ici et là. C'est fascinant d'entendre l'évolution du titre qui affiche ses nuances avec parcimonie, étoffant encore plus son empreinte d'hypnotisme. Et après un lourd passage brumeux, la deuxième partie de Tanz Der Elfen prend nos tympans d'assaut avec plus de précision dans les séquences qui coulent avec plus de fluidité. Le rythme ainsi plus féroce, Tanz Der Elfen débauche la timidité des synthés et séquenceurs en plongeant dans un univers de percussions, séquences et de cliquetis organiques dont la beauté sonore est soutenue par un rythme entêté. Un rythme qui pistonne de ses deux phases limitrophes une cadence mordue par un synthé qui essouffle ses harmonies saccadées dans des brumes bleutées et qui évente ses solos torsadés dont les apparences de voix éraillées sèment une confusion digne d'une structure aussi intelligente qu'intéressante. C'est un superbe morceau! J'aurais bien aimé entendre la version complète. Chill Out fut joué en concert à Kassel. Comme son titre l'indique c'est un titre du genre relaxe avec un rythme mou structuré sur des séquences qui palpitent d'une symétrie cybernétique auxquelles s'ajoutent des pulsations lourdes qui errent sous les lignes de synthés pluralistes dans leurs harmonies, leurs chants et dialogues, leurs solos vampiriques et leurs brumes sibyllines.
Peut-on faire du neuf avec du vieux? Il semblerait. Malgré les 12 ans qui séparent cette prestation de Keller & Schönwälder de toutes les œuvres typiques de la Berlin School minimaliste, où des dizaines d'artistes, et des très bons croyez-moi, ont marché sur les empreintes musicales du duo berlinois, qui a influencé autant d'artistes que TD et/ou KS, THE FREASON WHY…LIVE AT THE JODRELL BANK respire encore de son originalité. Il n'y a pas une seule seconde de perdue dans cette immense œuvre qui ne cesse d'offrir des structures dont les fines variances étonnent une fois qu'elles se sont succédées. Alors on se dit; hum…qu'est-ce que j’ai loupé? Et on réécoute et on se dit; ah…brillant! J'imagine que c'est ça une œuvre intemporelle. Incontournable!
Sylvain Lupari (02/06/13) ****½*
Disponible au Manikin Bandcamp
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