“Angst est un bon album et un excellent moyen de s'initier au son de Klaus Schulze”
1 Freeze 6:36
2 Pain 9:36
3 Memory 4:50
4 Surrender 8:41
5 Beyond 10:16
(Bonus Track)
6 Silent Survivor
31:40
SPV 304812 CD-REV 032
(CD 72:06)
(Minimalist New Berlin School)
ANGST est le 17ième album solo de Klaus Schulze et c'est aussi la trame sonore d'un film australien écrit et dirigé par Gerald Kargl qui relate la vie du psychopathe et tueur en série Werner Kniesek. C'est un album aussi percutant que le film et dont le cinéaste a brodé son scénario autour de la musique. Et finalement c'est aussi le 14ième album de KS à être réédité dans un format de luxe par le label Revisited Records. Une nécessité? Je crois que oui, car cet intense album demeure une œuvre toujours méconnue du répertoire du musicien Allemand. Et même si les rythmes sont de plomb, les ambiances sont à la fois oniriques et intrigantes, amplifiant un étrange inconfort qui augmente à mesure que la musique infiltre nos deux hémisphères.
Freeze entre dans nos oreilles avec une subjugante douceur numérique. C'est une belle mélodie onirique qui a accompagnée un paquet de mes dodos difficiles et qui est soufflée dans du verre que l'on percute doucement de baguettes magiques. Il y a des odeurs de Audentity, de même que des réminiscences de Mike Oldfield et son Incantations, qui y flottent avec ces délicats arpèges de verre que le Fairlight II sculpte et fait tinter dans des souffles séraphiques. C'est la ballade du glockenspiel avec un Schulze hallucinant de tendresse jouant du xylophone virtuel, comme un pianiste charmant son piano avec une désillusion ancrée de désespoir, sur cette étrange harmonie symphonique qui scintille avec une étonnante froideur lyrique. Une superbe mélodie électronique qui a sans doute inspirée Robert Schroeder dans Brain Voyager. L'une des belles que j'ai entendues. Pain découpe l'ambiance de sollicitude avec un rythme lourd et lent qui fait contraste avec son lit de séquences nerveuses. Le rythme est pulsatoire avec une bonne ligne de basse qui bat une mesure symétrique, même lorsque les ambiances deviennent d'angoisse avec des strates de violons hachurés, et de plomb avec des lamentations spectrales hurlant dans une finale qui embrasse les souvenirs de Dziekuje Poland. Un titre qui tangue entre le rock et le funk électronique où règne une forme de psychose avec ce déchirement entre la violence et les harmonies que Schulze dépeint habilement sur un fond de tension qui rend justice au téléfilm Australien. Memory est un titre qui navigue sur les harmonies de Freeze avec une courte structure qui utilise ses accords comme une flûte de Pan frivole tout en se chamaillant avec un synthé et ses accords plus conventionnels. Surrender bouscule l'ambiance jusqu'alors assez tempérée de ANGST. Le rythme est fluide et bien cadencé avec un solide jeu de percussions dont les frappes et cliquetis métalliques résonnent et se répondent dans un écho tactique tout en pilonnant un tempo hypnotique qu'un doux synthé recouvre d'une timide mélodie brumeuse. Le rythme est minimaliste à l'extrême et la mélodie apporte de fines nuances sur un rythme labouré dans du plomb. Je dirais que l'on y sent des réplicas de Transfer Station Blue. Beyond est un très bon titre qui est passé inaperçu dans l'œuvre de Schulze. C'est un habile mélange de funk et de groove qui se déhanche curieusement dans une enveloppe musicale forgée dans les sonorités cosmiques de l'époque pré-X. Mouvement ambivalent plein de retenues et de contradictions qui est prisonnier de sa structure statique, Beyond répond distraitement à ses percussions de genre Tablas dont les frappes évasives peinent à concorder un tempo soutenu alors que le titre tente une échappée vers une approche plus groove que funk.
Silent Survivor est la pierre angulaire de nouveau ANGST. Et c'est de loin le plus beau titre offert par Klaus Schulze sur cette série de nouvelles rééditions. Un synthé aux ondes lourdes et maculées de poussières cristallines flotte dans une noirceur absolue que des chœurs chtoniens caressent des leurs voix obscures. Malgré l'inertie d'une impulsion soporifique, le mouvement respire de ces couches irisées qui s'entortillent autour des premières pulsations linéaires. Tranquillement, une douce musicalité sort de l'improbable avec des ondes astrales qui chuchotent sur les entailles des pulsations. Et Silent Survivor de croître insidieusement. C'est doux et attirant. Les premières touches qui se mettent à danser semblent inoffensives. Soudain cette série de clés s'anime dans des vents contraires et forme une approche rythmique qui semble décousue, comme une samba hésitante dont le pas nerveux est prisonnier des intenses brumes de Mellotron. Et le rythme explose de ces clés rotatives qui virevoltent avec fureur dans ce lit de brume, entraînant Silent Survivor dans un tourbillon de séquences infernales qui ondulent et oscillent furieusement pour s'arrimer à une ligne de basse, jetant ainsi le canevas d'un rythme circulaire qu'un synthé accueille de sa voix embrumée. Les minutes qui suivent sont aussi intenses que musicales avec un rythme qui s'embrouille, délaissant sa structure mélodique pour frayer avec des séquences isolées et des coups de mâchoires symphoniques qui amplifient l'incohérence d'un cerveau confus (faut pas oublier que c’est une musique de film). Entre son approche rythmique soutenue, fragmentée et incohérente, Silent Survivor traverse une foule d'étapes qui sont en concordance avec le niveau d'égarement d'un psychopathe cruel. Klaus Schulze nous martèle les tympans et triture nos oreilles avec son sens du beat désordonné et ses solos de synthé qui survolent une structure confuse. C'est du Schulze de grand cru mais je doute qu'il s'agisse d'une pièce musicale issue des bandes inachevées ou perdues de ANGST, quoique par moment nous sentons un souffle des titres joués lors de la tournée Polonaise de 83.
Je n'ai jamais compris le silence qui entoure ANGST. On en parle peu, pareil comme si c'était une erreur de parcours dans la carrière de Klaus Schulze pourtant l'œuvre est percutante avec ses rythmes, et surtout ses ambiances, qui nous plongent dans une paranoïa musicale que seul KS peut signer. C'est comme un énorme micmac de rythmes et ambiances où les séquences et les incursions orchestrales sont dans la continuité de Audentity. Et étonnement, c'est un album plus mélodieux qui est un excellent moyen d'initier ceux qui ont toujours eu peur des longues explorations décousues du Maître de la MÉ Teutonique. Et, comme toujours, cette réédition est splendidement bien présentée avec un très beau, et instructif, livret sur la période de ANGST ainsi qu'un titre en prime dont l'oubli serait un crime en soit.
Sylvain Lupari (22/06/06) *****
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