“Encore controversé pour certains d'entre nous, Miditerranean Pads est l'album de l'excès avec ses énormes percussions martelantes”
1 Decent Changes 32:35 2 Miditerranean Pads 14:12 3 Percussion Planante 25:01 Brain 841 864-2 (1989) SPV 085-304142 CD - REV 018
(CD 72:01) (Hypnotic, minimalist orchestral New Berlin School)
J'ai eu une attirance inexplicable pour Percussion Planante. Je ne sais pas combien de fois au juste, c'est un titre qui a joué souvent et très longtemps dans mon baladeur, surtout dans mon auto. MIDITERRANEAN PADS poursuit cette utilisation massive d'échantillonnages que Klaus Schulze pousse tranquillement vers sa période symphonique et surtout d'opéra amorcée avec En=Trance. On y retrouve donc ces bribes de chœurs torturés et ces éclats de musique classique dilués dans de denses orchestrations fantômes gémissant des lents mouvements de violoncelles des quartets invisibles qui alimentent les fresques musicales de Schulze depuis Audentity. C'est d'ailleurs sur cet album, avec Decent Changes, que j'ai apprécié les 1ier collages fantasmagoriques de Sieur Schulze et de ses orchestrations segmentées. Sauf que MIDITERRANEAN PADS se démarque avant tout par le jeu des percussions, autant manuelles que virtuelles, imaginées par un Klaus Schulze tantôt rêveur, Decent Change, et tantôt rebelle, Percussion Planante. On pourrait dire que Klaus Schulze exorcise ses démons d'antan avec la technologie d'aujourd’hui. L'effet est monstre et multiplie les surprises sur un travail titanesque. Sur cette ré édition de Revisited Records, seulement 2 à 3 minutes additionnelles ont été ajoutées, l'original étant déjà près de la limite de temps des 70 minutes.
De délicates percussions ouvrent la mesure du long et très linéaire Decent Changes. Le rythme est aussi doux que furtif et s’arrime à une ligne de basse qui rampe sous les frappes de percussions qui sont maintenant divisées entre une vraie batterie et des percussions électroniques. Un piano solitaire éparpille ses accords par grappes. Des accords qui dessinent une envoûtante mélodie éthérée que des chœurs caressent de leurs fredonnements absents. Il n'y a pas seulement que les chœurs qui caressent cette longue introduction funambulesque, les cordes arrivent vers la 7ième minute. Et leurs mouvements sont lents et sinueux, tout autant que les 12 premières minutes de Decent Changes qui épouse par la suite une étrange structure de funk cosmico-progressive avec une lourde ligne de basse et des percussions claniques arabiques qui tambourinent sous un habile maillage d'échantillonnages de voix et d'instruments à cordes. Le jeu des percussions est bien agencé avec la ligne de basse, donnant une structure rythmique bien rodée qui dort sous ces chœurs sombres et ces arrangements orchestraux dont les lents mouvements éthérés flottent comme des ailes tourmentées. On est littéralement dans En=Trance et le jeu des percussions perd de sa force, donnant son tempo hypnotique à ces violons, ces strates enveloppantes, ces souffles flûtés et ces accords de piano qui forgent la paisible dynastie harmonique de Decent Changes. Un bon titre que j'aurais raccourci, quitte à étirer les 2 pièces qui suivent. La pièce-titre est une œuvre ambiante très intense dont la partition vocale est un échantillonnage de la voix d'Efli Schulze, femme de Klaus. Sur un délicieux piano aux accords arraches cœurs, les voix soufflent l'amour, la vie, l'attente et le désespoir dans des mouvements aux intonations diverses. Un beau morceau, et un superbe interlude où la sensualité, eh…que j'aime ce sax qui pleure dans la nuit, se combinent à une étonnante sensibilité. Du très bon Schulze taciturne, secret mais divin avec un superbe doigté sur ses échantillonnages de musique classique. À écouter par un soir de peine d'amour. On éclate en larmes!
Ah…Percussion Planante. Ce que j'appelle une ode à la percussion. On prend la partie deux de Decent Change, pour sa lourde ligne de basse, et on la colle ici dans une mesure amplifiée par 4. Ça donne Percussion Planante! Dans une fusion parfaite, où toutes les percussions se serrent des battements autant percutants qu'harmoniques, avec une ligne de basse qui supporte un rythme agile autant que les graves notes d'un piano noir, Percussion Planante voltige dans les ailes de ses arrangements orchestraux. Mais le rythme refuse l'obédience et se rebelle constamment par une fascinante mosaïque de percussions. Tout y bien dosé. Les larmes de violons sont aussi sombres que leurs saccades soyeuses. Les chœurs sont aussi pénétrants dans leurs enveloppes de discrétion. Ces voix sont les témoins privilégiés d'un mouvement de piano qui serpente et qui ondoie ses accords en de superbes passages mélodieux. Et le piano qui tente ses percées harmoniques effrite sa poésie sur le dos d'un rythme qui se distance des éclats de mouvements symphoniques épars. C'est la cacophonie réinventée. Vers la 20ième minute, les percussions sont seules sur une modulation qui amène des lignes plus symphoniques, plus orchestrales sur des frappes aussi claires, que saisissantes. Génial et intense!
Bien qu'il ait été primé dans certains pays, donc les Pays-Bas, MIDITERRANEAN PADS a toujours été une œuvre contestée. Le trop plein de percussions et des rythmes alambiqués, parfois claniques et trop souvent cacophoniques, ainsi que ses tortueuses et ténébreuses orchestrations, sans oublier la divine et noire incantation de sa pièce-titre, en font un album qui sort d'une zone de confort que les fans avaient fini par se nicher depuis les changements amorcés dans Dig It. En fait ça peut paraître comme un album difficile d'approche à cause de sa propension à la cacophonie délirante par moment. Mais si je vous garantissais la beauté, y croiriez-vous? Et pourtant, c'est un peu la malchance de ce 21ième album solo de Klaus Schulze. Fidèle à son habitude, Schulze fuit la facilité pour creuser encore plus son goût pour les orchestrations et aussi tâtonner le délire mélodique. Tranquillement, il incorpore des beautés sublimables dans ses œuvres (Klaustrophony, Freeze ou FM Delight). Et ses œuvres, il les veut rebelles et plus intimistes que jamais. Et à juste titre un peu plus difficiles d'accès. Mais au-delà de tout cela, lorsque que le génie créateur nous habite aurions-nous intérêt à l’étaler avec toute la facilité déconcertante qui tue sa passion?
Sylvain Lupari (22/01/06) ****½*
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