“J'ai savouré chaque minute de Shadowlands où Klaus Schulze habille ses 3 merveilleux mouvements minimalistes de vives nuances”
1 Shadowlights 41:12
2 In Between 17:07
3 Licht und Schatten 17:23
Synthetic Symphony SPV 260070
(CD 75:42) (Modern Berlin School)
Voilà un album que l'on attendait plus. Il y a eu plusieurs interrogations et mystères concernant SHADOWLANDS. En 2011, on parlait déjà d'une possible date pour ce 46ième (oui oui, 46!) album de Klaus Schulze et puis zoup! Plus rien. Idem pour 2012. Et pendant ce temps, des rumeurs! Des rumeurs sur l'état de santé du maître Allemand des symphonies minimalistes semaient l'inquiétude parmi ses fans, mais aussi des rumeurs à l'effet que la bisbille était poignée entre KS et MIG (Made In Germany) qui a connu toutes sortes de difficultés avec la parution des derniers La Vie Electronique et surtout Tonwelle. Et les rumeurs vont bon train jusqu'à la fin de 2012 où une date est avancée et finalement reculée…Bref, c'est l'impasse. Et finalement, SHADOWLANDS arrive dans les bacs en Février 2013. Soit près de 3 ans (selon certaines rumeurs qui seraient fondées) après que Klaus Schulze eut donné ses premiers coups de strates de son nouveau Roland Jupiter 80, tissant les prémices de cet album qui arrive en 2 éditions; une avec un skeud et une autre édition limitée comprenant deux skeuds pour près de 150 minutes de nouvelle musique. SHADOWLANDS érige sa grandeur musicale sur trois ou cinq, selon votre choix, longs titres dont les parcours minimalistes sont savamment orchestrés par le maître qui ajoute continuellement des éléments musicaux et de fines variances afin d'en embellir toute la portée hypnotique.
D'ondoyantes lignes de synthé s'entrecroisent et caressent leurs harmonies en hibernation sous divers cliquetis hétéroclites. Le rythme palpite d'ions qui sautillent fiévreusement dans l'espoir d'agripper une structure rythmique plus homogène. L'ambiance est suffocante lorsque que les larmes du violon de Thomas Kagermann en apaisent la lourdeur, caressant de ses plaintes rosacées les pulsations affolées qui sautillent toujours sous les sinueuses lignes évasives. Une voix s'élève. Un puissant et bref vent de cordes vocales mâles détourne notre attention tandis que le rythme, hypocrite, s'installe. Provenant d'une fusion d'un dédoublement d'ions sauteurs infatigables, ce rythme prend la forme d'une longue course hypnotique où un coureur joggant dans notre imaginaire doit contourner différents obstacles, déviant ainsi finement le cours d'un long rythme minimaliste que des coups de bass-drums, des percussions du genre tablas et des cymbales argentées ornent de fines variations. Les mélodies? Elles sont magnétisantes. Découlant d'une fusion entre les pleurs des violons, les flûtes éparses, les voix éthérées et les murmures cloîtrés de Lisa Gerrard, Crysta Bell et Julia Messenger, elles flottent dans les douceurs d'un synthé et de ses lignes apaisantes. Ces voix qui hantent nos oreilles tout au long de cette lente agonie des ombres atteignent des points culminant, faisant basculer Shadowlights dans de poignantes dimensions, comme vers la 15ième minute où les percussions qui tombent et les hurlements des anges vitaminent un long titre qui étonne constamment par l'adresse de Klaus Schulze à pimenter sa très longue structure de fines variations. Et plus Shadowlights avance et plus Klaus Schulze modifie subtilement sa musicalité. La 2ième portion est plus agressive avec des arrangements dessinés par des riffs de claviers hachurés qui sonnent comme des coups d'archets et des accords ronds qui ondulent comme des spasmes assoupis aux tonalités un brin organique, moulant une étrange approche de funk éthéré sur un rythme à demi flottant. Les voix et les violons festoient dans une fusion inceste, ajoutant constamment des éléments de charme à ce long titre minimaliste que Schulze manipule de main de maître, ignorant les pièges et probabilités d'un possible ennui qui guette ces longs romans fleuves que sont les titres du genre comme Shadowlights. Voilà bien 41 minutes que je n'ai pas vues passées!
Après une introduction tortueuse où des filets de voix astrales étreignent un rythme qui peine à sautiller, In Between étend le charme de son hésitation avec son ouverture incertaine. De suaves chœurs de sirènes spectrales hument des souffles de vie et de désespoir sur un ondoyant lit d'arpèges aux tonalités miroitantes. Cette envoûtante danse de l'immobilisme secoue sa torpeur avec de discrètes percussions tablas. Et dans les souffles orgiaques des voix séraphines In Between pétille de ses sautillements à peine perceptibles, traçant les axes d'un rythme minimaliste qui trouve sa fraîcheur dans les modulations des harmonies et dans les cercles imparfaits d'une ligne stroboscopique qui tournoie paresseusement en arrière plan, tel un sorcier et sa danse de l'infini. Une ligne de basse étreint cette délicate transe cérébrale vers la 8ième minute, donnant plus de profondeur à un rythme qui devient subtilement plus groovy. Et Schulze de continuer d'habiller son rythme minimaliste de percussions aux tonalités de maracas alors que la ligne stroboscopique sort de l'anonymat pour danser en cercles érodés avec ces immuables chœurs qui ont meublés les harmonies de In Between dont les percussions s'échappent pour résonner avec limpidité dans l'introduction de Licht und Schatten qui épouse les mêmes préceptes rythmiques que In Between mais avec une approche plus près des opéras perdus de Totentag. Les voix sont très musicales. Mélangeant les octaves féminines et mâles, Schulze tisse les lignes d'un opéra sauvage qui se faufile dans un impressionnant maillage d'arpèges saccadés et de percussions dont les tonalités et frappes aussi limpides qu'incisives nous font basculer dans une transe mnémonique d'où ressurgit les lointains souvenirs du très bel univers de Audentity. Comme dans la pièce d'ouverture, ces voix de nymphes caressent un univers de nuances musicales initient des moments magiques qui émerveillent les sens et réconfortent notre envie de nous laisser mordre par les dents de Morphée.
Ainsi se termine le premier acte de SHADOWLANDS. J'en ai dégusté chacune des minutes. Et non! Klaus Schulze n'a pas perdu sa touche créatrice. Du haut de ses 65 ans il signe une œuvre à la grandeur de sa sérénité avec des mouvements minimalistes dont lui seul sait comment structurer afin d'éviter les pièges de l'ennui. Tout est dans le ton. Les voix sont superbes. Elles flottent dans des harmonies d'un synthé parfois discret qui évite les solos afin de mieux se concentrer sur ces lamentations de nymphes qui volent comme jadis les solos le faisaient. C'est tendre, onirique et très mélodieux. C'est un album de la raison qui démontre toute la grandeur d'un homme intemporel et de sa créativité.
Sylvain Lupari (10 Mars 2013) *****
Disponible chez Groove
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