“Un genre de musique qui rend accro dès qu'on tombe sous ses charmes”
1 Tout ce qui a lieu 10:16
2 Le grand miroir 8:41
3 L'ordre à priori des choses 7:10
4 Le nombre des noms 3:40
5 Une seule et même réalité 8:51
6 Égalité des signes 3:32
7 Sur ce dont on ne peut parler 6:02
(CD/DDL 48:17)
(Art for Ears, modular synth music)
J'aime lorsque la musique est un défi, autant pour les oreilles que l'imagination. Et lorsque des fils de mélodies sombres et mélancoliques se rattachent à une musique conçue pour faire travailler l'imagination, eh bien j'aime encore mieux ça! Je suis tombé dans la marmite Lyonel Bauchet en 2011, soit lors de ma découverte de l'excellent The Secret Society qui était son premier album sur le label Anglais DiN. Vient l'énigmatique The Diver, 10 ans plus tard et puis ce somptueux TRACTATUS LYRA-ORGANISMUS. Un défi si vous voulez percer la muraille d'effets sonores, d'ambiances granuleuses, de rythmes non-rythmiques et de mélodies découpées dans le romanesque du cinéma Français noir et blanc. Et vous voulez! Ce 3ième opus du cinéaste des sons de France sur le label de Ian Boddy est son plus beau à date. Il est conçu dans une vision de contraste entre l'effervescence colorée des nombreux timbres des synthés modulaires versus cette ambiance de cinéma poétique où les thèmes de mélodies nostalgiques sont exploités avec un doigté qui nous mange les tympans.
Une tonalité de flûte et des miroitements de sons s'échappent d'un glas et de son rayonnement métallique pour initier Tout ce qui a lieu. Si les autres tintements haussent leur niveau sonore, c'est un délicat piano qui en contrebalance la nuance. Ses notes libérées par des doigts songeurs tintent dans une substance sonore qui respecte ce que nos oreilles attendent d'un 3ième rendez-vous avec Lyonel Bauchet. Le rythme comme les ambiances sont sur un pied d'alerte. Ils sont en parfait équilibre avec l'inconnu qui tisse cette immense toile sonore impressionniste qu'est la musique électronique (MÉ) du musicien-synthésiste et sorcier des synthés Buchla modulaires de France. Des battements sourds tentent de structurer un downtempo conçu dans le brouillard. Bouge, bouge pas! Ce rythme en suspension absorbe les tintements de billes métalliques et leurs longs écoulements dans une faune musicale qui se liquéfie en perpétrant un héritage conçu de prismes et autres effets sonores d'une mutation électroacoustique et organique. Des froissements de cymbales, des bourdonnements sourds, des effets percussifs qui rappellent les morcellements de rythmes cryogéniques dans l'album Poland de Tangerine Dream et des larmes de guitares sont parmi d'autres éléments à remplir les cadres deTout ce qui a lieu. Et on a pas franchi le cap des 4 minutes! Les hurlements de cette texture de guitare cisèlent d'ailleurs les ambiances avec une férocité acérée. Les notes du piano résistent à ce canevas d'effets sonores et à ces vents qui hurlent, émiettant une mélodie en noir et blanc sur un lit de grésilles azurées et d'orchestrations brumeuses. Appuyé par la scande d'une note de piano plus basse, plus grave, cette mélodie s'enroule autour d'une volute invisible, créant ces petits vers-d'oreilles qui hanteront notre écoute tout au long de TRACTATUS LYRA-ORGANISMUS. Les vents dominent de plus en plus, versant même vers des bourdonnements noirs, et les textures de guitares surgissent avec des élans sauvages. Tout ce qui a lieu se consume alors dans une violente phase atmosphérique où le rythme est plus illusoire qu'entraînant mais nous fait tout de même dandiner de la tête.
Riche de ce décor et de ces illusions sonores, l'aventure de TRACTATUS LYRA-ORGANISMUS se poursuit avec Le grand miroir. Son rythme est lent, comme une sorte de procession cadencée construite autour de tic-tacs métronomiques qui s'arriment à une ligne d'accords en ré, accords plus graves, du piano/clavier. Une ligne de mélodie fantôme, quasiment vampirique, y roule en boucles. Ajoutant un côté obsessionnelle à cette mélodie rythmique. Les vents hurlent sourdement pour amplifier leurs présences avec des feulements granuleux et des mugissements de plus en plus accentués, donnant cette illusion que nos oreilles entrent dans un univers d'interdiction. Ça se poursuit avec L'ordre à priori des choses. Les notes de piano tombent comme des larmes de solitude sur les courbes d'un vent qui cherche l'appui des cordes de violons. Leurs tintements résonnent et frissonnent dans une chambre noire d'où s'extirpent une basse pulsation qui forge un rythme pulsatoire. L'élan est captivant, et on roule du cou dès que des éléments de percussions métalliques stimulent un peu plus cet élan rythmique qui serpente à la verticale. Le piano suit la tangente du rythme qui poursuit son inlassable ascension dans des orchestrations qui emmêlent ses vents aux scandes en staccato des instruments à cordes. Le nombre des noms offre un débit pulsatoire plus accéléré dans une ambiance cinématographique où l'immaculée court dans les ténèbres sifflants. Ici comme partout dans l'album, plus le titre évolue et plus les ambiances deviennent opaques. Un peu comme si elles étaient soufflées dans une panique passagère. Un genre de titre qui se visse entre nos oreilles, Une seule et même réalité continu cette escalade cadencée avec une ritournelle rythmique qui serpente une structure ascensionnelle. La montée semble ardue! Elle se fait dans les brises granuleuses et acides au-dessus des airs d'une mélodie sombre et noire, genre cinéma français dramatique, pianotée par des doigts portant la misère du monde sur ses épaules. Égalité des signes donne aussi cette impression que Lyonel Bauchet transporte la douleur du monde sur son dos. C'est un titre lent, dont le rythme en tic-tac est source d'obsession. Surtout lorsque les orchestrations émiettent ces vents qui soufflent sur des esquisses et des arabesques sonores dont les timbres permutent pour se désagréger en poussières polychromées. Calqué un peu sur les éléments qui composent l'ouverture de Tout ce qui a lieu, Sur ce dont on ne peut parler poursuit l'élan rythmique de Le nombre des noms pour terminer l'album dans une approche de musique de danse industrielle.
TRACTATUS LYRA-ORGANISMUS est ce genre d'album qui crée une dépendance dès que nous sommes tombés sous ses charmes. Techniquement, ça se produit vers la seconde écoute. Soit, une fois que nos sens se sont remis de la première écoute. Dans des ambiances surréaliste et souvent cousues de ce fil intrigant où la peur côtoie la romance, Lyonel Bauchet réussi à créer un univers unique à son style tout en concevant des thèmes mélodieux qui transpercent notre âme. Comme ces poèmes écrit il y a des années sur la peau de notre mal de vivre!
Sylvain Lupari (06/07/23) *****
Disponible chez DiN Music
(NB: Les textes en bleu sont des liens sur lesquels vous pouvez cliquer)
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