“Une vision Berlin School et les élans du séquenceur plairont aux aficionados du genre”
1 Cycles 1 (11:56)
2 Cycles 2 (13:06)
3 Cycles 3 (14:11)
4 Cycles 4 (21:56)
(CD/DDL 61:09)
(Berlin School Dark Psybient)
Ambiances secrètes et aussi lourdes que les multiples mouvements des séquenceurs, Nothing but Noise revient après une petite pause de deux ans nous présenter sa philosophie musicale sur Aeon, un des 3 principaux concepts du temps. Destinée et éternité! Est-ce une nouvelle trilogie que le duo Belge entreprend? On se souvient de la pharaonesque trilogie de eXistence Oscilla+ion mis en musique de 2016 à 2018. Cette trilogie avait essorée le jus de la créativité car mise dans le Webland en même temps que de succulents albums tel que From Berlin To Brussel et Formations Magnétiques et Phénomènes D'incertitude. Ces années furent les plus grandioses de cet improbable duo composé de Daniel Bressanutti et Dirk Bergen, les leviers de Front 242. AEON est construit autour de 9 cycles, dont un à la mémoire de Wim Bergen, étalés sur 2 CD. Les CD peuvent être acheté, ou téléchargé séparément, comme ensemble avec livret autour du 15 mai. On y trouve un NBN en pleine possession de leurs élans créateurs où le Berlin School progressif danse avec du psybient aux origines du Dark Ambient et des orchestrations découpées en riffs séquencés. Et il y a de l’intelligence au pouce-carré! À tout le moins, dans AEON 1.
Cycles 1 débute cette période de 9 cycles avec une structure enlevante où le côté acoustique des percussions et le séquenceur tissent un galop électronique auquel se greffent de bons arrangements orchestraux. L'impression d'entendre des cordes de violoncelle se faire pincer ajoute à la dimension d'un staccato dans les orchestrations. Riche, cette figure de rythme suit les parcours usuels à la Berlin School en flirtant avec des phases moins entraînantes, moments propices pour que le synthé placent ses pads aux couleurs criardes. Cycles 1 arrive à un pont autour de la 5ième minute. NBN écoute son cœur en décousant la portion orchestrale pour l'émietter dans une phase ambiante expérimentale de plus ou moins 2 minutes. Cette phase propage une vision de cacophonie qui marquera la majorité des ponts dans AEON 1 et qui amène le titre à entreprendre sa lente métamorphose organique. Tout se passe au ralenti, un peu comme un rêve refusant l'accès à l'éveil, jusqu'à ce qu'une ligne de basse crache des pointes, que nos souvenirs peuvent confondre à One of These Days de Pink Floyd, qui structurent une version plus lente du rythme de l'ouverture. Les effets percussifs ajoutent à une profondeur déjà manipulée par les orchestrations. Péniblement, ce rythme atteint sa pointe initiale pour une courte durée avant de s'éteindre dans les limbes de la noirceur brunâtre rempli de woosshh ternes. Ils se transportent dans les battements sourds de Cycles 2 où mes oreilles entendent des ululements camouflés dans les lignes de woosshh. Après un rythme dynamique, ce deuxième cycle nous fait voyager dans l'univers psybient ténébreux de Daniel Bressanutti et Dirk Bergen. L'armature rythmique est égale à celle proposée précédemment mais dans un beau ralenti qui sculpte une splendide spirale stroboscopique. Psybient et prismatique, Cycles 2 voyage entre le conscient et le subconscient comme un gros boa tonal serpentant une flore rythmique qui n'est pas toujours au même niveau. Tant dans la force que dans la vélocité!
Roulant comme un ruisseau étalant ses milles reflets sous le soleil, Cycles 3 propose aussi un rythme ambiant avec des ions séquencés scintillant comme des diamants sur un convoyeur. Les orchestrations roulent en formant des boucles séquencés alors que la portion rythmique vit par les impulsions sourdes d'une ligne de basse ascendante. Suivant le cycle d'apparition et de disparition, le synthé vient injecter des lignes qui vont et viennent pour se dissoudre en harmonies broyées par la puissance de Cycles 3 qui étend son emprise avec des boucles de rythme devenues plus affamées que les espaces ambiants. Composé en mémoire de son frère Wim Bergen, décédé en 2019, Cycles 4 termine ce AEON 1 avec une note plus mélancolique. On entend une muraille sonore en mouvement derrière les orchestrations qui peu à peu structure le rythme. Une muraille sombre qui bouge en marmonnant, en gémissant. La ligne de basse organique fait tout un travail ici. Bien qu'en arrière-scène, cette membrane d'ambiances sombres dominent les premiers instants du titre jusqu'à sa 6ième minute. Les morceaux de rythmes sont refoulés dans des orchestrations inachevées et un mouvement pulsatoire ostinato du séquenceur. Des accords juteux et grasses de résonnances tentent une ouverture qui se concrétise par un rythme biphasé lorsque qu'une ligne plus galopante s'expulse de celle docilement minimaliste. Cette phase statique résiste jusqu'à la 9ième minute, là où une énième mutation de Cycles 4 l'amène dans une vision cinématographique avec de lents staccatos remplis de miel et des effets percussifs qui seraient nettement plus propice à une agitation rythmique. Et elle s'opère avec un bouillonnant mouvement tempétueux qui reste toujours sous le couvert de cette dense membrane atmosphérique qui retient ses élans. Et ça sera l'histoire de ce requiem pour Wim dont la beauté ténébreuse va à la limite de notre excitation par rapport à cette intensité refoulée mais toujours présente de Cycles 4. Indécis et puissamment théâtral!
Dirk tenait à ce que AEON soit chroniqué CD par CD. C'est correct et honnête car Aeon 2 demande plus d'amour que ce AEON 1 dont la vision Berlin School et les élans des séquenceurs vont plaire aux aficionados du style de MÉ poussée par séquenceurs. Hormis les rythmes, les ambiances sont bien définies tout en étant constamment détournées par des orchestrations, dont certaines sont séquencées. Le côté psybient et organique de Nothing but Noise est bien aussi présenté avec des phases plus invitantes que à fuir. Bref, un très bel album qui s'écoute d'un bout à l'autre.
Sylvain Lupari (12/05/21) *****
Disponible au db2fluctuation Bandcamp
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