“Un très bon accueil de Johannes Schmoelling dans ce Tangram qui est une brillante continuité de Force Majeure”
1 Tangram Set I 19:47 2 Tangram Set II 20:28
VIRGIN: CDV 2147
(Berlin School)
TANGRAM est un jeu de réflexions qui pourrait être comparé à un casse-tête chinois. Mais en réalité c'est plus que cela! C'est le début d'une merveilleuse épopée musicale où la MÉ, telle que connue à cette époque, évoluait vers des horizons toujours aussi complexes mais avec une approche nettement plus mélodieuse. Par-dessus tout, c'est l’arrivée de Johannes Schmoelling, un musicien de formation classique qui insufflera à Franke et Froese une prose plus poétique et mélodieuse. Selon moi, et mes observations sur Internet, TANGRAM est le début d'une nouvelle ère avec des albums de haute qualité et des concerts mémorables qui s'étendra de 1980, soit avec le méga-concert du 31 Janvier 1980 (le East Berlin Palast der Republik) à 1'album Legend en 1986. TANGRAM est aussi un casse-tête musical avec une collection de rythmes, de passages d'ambiances et de mélodies qui se fondent en une mosaïque de 40 minutes divisée en 2 parties, pour les besoins des albums vinyles de l'époque.
Dès les premières notes, on sent que les ambiances seront spéciales. Un synthé siffle d'enchanteresses couches flûtées dont les souffles épousent une mélodie qui virevolte et tournoie avec l'ivresse d'une feuille refusant de fuir son arbre. Une incantation pour lycanthropes, l'ouverture de Tangram Set One baigne dans une envoûtante aura de mystère avec une l'addition d'une autre ligne de synthé. Ce point de rencontre supporte une fine ligne de basse qui pulse délicatement, rencontrant au hasard d'éparses notes de claviers et de guitares. Cette introduction est très onirique et envoûtante au point tel qu'on oublie le crescendo latent qui s'élève alors que Tangram Set One débouche sur de somptueuses couches harmonieuses, une ligne de pulsations séquencées et des roulements de tambours qui accompagnent la flûte d'un fantassin oublié dans le décor. Le rythme en ébullition, Tangram Set One est survolé de furieux solos de synthé et de guitare, moulant une structure aussi lourde et sauvage que sur Force Majeure avant de bifurquer vers un passage plus symphonique, et puis le silence…Un silence arrosé d'une pluie d'étoiles dessinée par un doux piano rêveur. Nous sommes seulement à la 8ième minute et le piano couche le début d'une superbe mélodie qui naîtra d'une fusion synthé/piano sous l'œil d'une noble six-cordes acoustique. Cette douce intermission nous amène dans le tortueux univers métallique de TD. Des boules d'acier s'entrechoquent dans la perdition de leurs échos jusqu'à ce qu'un synthé rempli de brume vaporeuse réaligne les sens et conduit le mouvement vers les lourds méandres mélodieux de Tangram Set One. Ce synthé lance des accords et des bribes de mélodies qui se subdivisent sur une furieuse ligne de séquences, crachant le venin de ses harmonies tel un hibou possédé par l'esprit d'un synthétiseur. La dernière partie fouette notre ouïe avec une grande chevauchée des séquences aux accords dédoublés et entrecroisés qui est le principal soutien d'un maelström de mélodies inassouvies. Des jets de mélodie en constant mouvement tourbillonnent en tous sens pour atterrir dans les griffes d'une guitare et ses rugissements. Des lourds riffs de clavier, des puissantes pulsations résonnantes, des percussions métalliques et une séquence allant en décroissance, un peu à la Won’t Get Fooled Again de The Who, complètent cette section pour le moins endiablée. C'est comme un gros rock psychédélico-progressif, avec son empreinte mélodieuse, qui se termine dans les douces nébulosités d'un trop beau synthé solitaire qui nous chante une merveilleuse berceuse et qui s'ennuie de sa douce folie.
Plus complexe et tortueux, Tangram Set Two épouse à peu près les mêmes modulations mais avec une approche plus obscure et psychédélique qui ressemble davantage à Force Majeure. L'intro est basanée de couches de synthé qui s'entrelacent et se lovent dans une opaque inertie ocrée. Cette lente intro morphique, nourrie de fines oscillations, s'éveille avec de lourdes réverbérations apocalyptiques qui recouvrent un synthé flûté et de solitaires accords d’une guitare acoustique. Un puissant mouvement staccato s'ensuit. Il galope sur une séquence spasmodique qui adopte la forme d'un train filant à vive allure à travers des plaines de mélodies égarées et de voix spectrales. Une mouvement de rythme qui a très bien survécu au temps et qui sera encore utilisé près de 40 ans plus loin. Des passages atmosphériques déroutants, des roulements de tambour et une fusion de tonalités d'aluminium prenant forme meublent les ambiances et les rythmes diversifiés de Tangram Set Two ainsi que ses suaves approches mélodieuses. Métalliques et limpides, les synthés bourdonnent avec pesanteur et harmonie. Lourdes et sauvages, les séquences déboulent à fond de train. Ces éléments, entremêlés aux explosions de guitares, aux percussions métalliques, aux effets sonores et aux voix d'outre-tombe font de cette 2ième portion de TANGRAM un labyrinthe de sons et de musique à la fois lourd et complexe. Une structure assez alambiquée et tout de même mélodieuse, qui ne cesse de se renouveler dans des boucles et sortilèges musicaux qui sont devenus des moments intemporels. Même avec l'arrivée de Schmoelling, Tangerine Dream reste d’audace et reste à l'affût des moindres éléments disparates pour marquer son territoire de démesures inconnues.
Au final, TANGRAM est un superbe album qui trempe dans une lourde ambiance sombre et dramatique, comme deux longs cauchemars psychotroniques où loups-garous et bêtes mythiques grugent nos fantasmes érodés par notre avidité de l'inconnu. C'est une brillante continuité de Force Majeure où les rythmes, ambiances et mélodies s'enchevêtrent en une parfaite symbiose, expliquant ainsi la parfaite logique derrière le choix du titre. Flanqué de Schmoelling, le duo Franke et Froese arrive vers de nouvelles terres avec un nouveau son et une approche nettement plus mélodieuse où le piano prend plus de place. Pour plusieurs fans, dont moi-même, c'est le début de la plus belle période de Tangerine Dream…
Sylvain Lupari (09/09/06) *****
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