“Parfois bon, parfois mauvais, parfois harmonieux et parfois insipide, Tyger a cette odeur d'une époque qui meurt de son incertitude”
1 Tyger 5:49 2 London 14:24 3 Alchemy of the Heart 12:15 4 Smile 6:11 5 21st Century Common Man, Part One 4:49 6 21st Century Common Man, Part Two 4:03 7 Vigour 4:57 8 Tyger (single 7") 4:27 Jive Electro CHIP 47 & Esoteric Reactive EREACD 1030 (CD 61:53) (Melodic and progressive New Berlin School) (V.F.)
TYGER est le dernier album studio de TD avec Chris Franke. C'est aussi le dernier album de Tangerine Dream à figurer sur le top 100 des palmarès anglais. C'est le chant du cygne! C'est la dernière valse du célèbre duo Franke et Froese qui, selon moi, sont les Lennon et McCartney de la MÉ. Mais contrairement aux Beatles, qui nous ont laissé tout un album en héritage, Franke et Froese se quittent dans la controverse. Et en semant la consternation chez les fans du Dream avec un album qui fait appel, pour une 2ième fois dans toute la discographie du groupe Allemand, à un vocaliste. Après le fiasco de Cyclone toujours renié par Edgar Froese plus de 35 ans après, Tangerine Dream retient les services d'une chanteuse de rhythm'n'blues, Jocelyn Bernadette Smith, afin d'orner un album inspiré par les poèmes du peintre anglais William Blake. Loin d'être un désastre sur le plan artistique, l'album repose sur les mêmes voies qu'Underwater Sunlight et suit cette lente courbe de déception qui tenaille les fans depuis que Tangerine Dream insuffle à sa musique une approche de plus en plus harmonique et de moins en moins progressive et expérimentale. Un peu comme si les nombreuses conceptions de bandes sonores avaient eu raison du mythique groupe allemand.
Pourtant, la pièce-titre part très bien cette nouvelle aventure du Dream avec une délicate structure qui enchante tant par sa grâce que sa sensibilité. Les accords qui nous introduisent à Tyger tintent comme une fine comptine. C'est une musique idéale à chanter, ou narrer, dans le répertoire du Dream à cause de son tempo lent et sphéroïdal qui tournoie dans l'oubli tout en s'appuyant sur des séquences flottant légèrement comme les ailes d'une ballerine. C'est comme un carrousel dont on remonte le ressort juste avant de se coucher. On imagine aisément grand-mère, personnifiée par Mme Smith, nous réciter un poème noir avant le dodo sur une musique située aux limites de Legend. Sa voix flotte avec émotion et passion (on apprendra plus tard qu'elle était particulièrement choquée dans le studio). Elle apporte un filet de chaleur et une séduisante dimension à cette berceuse un brin méphistophélique qui mange un peu dans l'auge de Song of the Whale. Sa prestation sur London est aussi bonne. Elle travaille sa voix alors que Franke cherche désespérément à faire rouler ses séquences et percussions dans les nouveaux patterns rythmiques d'un Dream qui se cherche. Et c'est là que tout foire. La première partie de London est atonique. On y entend ces structures de percussions et de séquenceurs qui mouleront les rythmes aseptisés des années Melrose sur un long mouvement qui tourne en rond sans vraiment aboutir à quoique ce soit d'original. Car si l'approche reste savoureusement secrète, les éléments qui l'entourent manquent de jus, de profondeur et de direction. Mme Smith doit se débrouiller comme elle peut et on peut comprendre sa colère lorsqu'on entend sa voix tenter un rapprochement avec la musique. Furtive et invisible, la longue intro de London cogite au-delà des 9 minutes avant qu'elle cède finalement le pas à une belle finale, trop courte, où la guitare d'Edgar Froese hurle sur des séquences aux tintements de verres qui tournoient dans une spirale trop serrée.
Alchemy of the Heart nous réconcilie un peu avec les ambiances bucoliques du Dream. L'intro est griffonnée par des percussions dont les coups résonnant progressent pour réveiller le doux piano de Paul Haslinger. Ce piano étale une très belle mélodie dans les sillons d'un séquenceur dont les minimalistes touches de cristal rappellent l'univers de Mike Oldfield. Cette étonnante fusion se poursuit jusqu'à la 3ième minute où le rythme finit par bourdonner sur des percussions aux claquements plus agressifs. Comme un tic-tac anormal défiant la courbe du temps, ces percussions activent la passivité de l'approche mélodieuse qui s'excite sur des accords de clavecin vieillit de deux siècles et d'un piano noir. Instable et tourbillonnant dans son cocon minimaliste, Alchemy of the Heart s'enroule dans une phase complexe qu'Edgar et ses riffs bourdonnants réussit à ralentir et conduire vers des couches de Mellotron aux larmes violonées qui pleureront jusqu'à la toute fin. C'est un très beau morceau dans le répertoire contemporain du Dream. La structure musicale de Smile est aussi très belle avec ses touches de séquences qui sautillent sur les épaules des autres dans les brises d'une brume dépoussiérée de sa bruine. Ambiant, le rythme flotte de sa structure sphéroïdale nappée par la magnétisante voix de Jocelyne Smith qui récite un poème dans une prison parée de séquences en verres au lieu de barreaux. Assez onirique! 21st Century Common Man est une autre belle pièce sur TYGER, à tout le moins sa 1ière partie, qui offre un rythme lourd galopant sur des séquences aussi agiles qu'harmoniques. On dirait du Jean-Michel Jarre avec ces percussions qui claquent et grondent autour de séquenceurs aux touches agiles et de synthés aux dimensions de synth-pop défloré par un rythme lourd qui peu à peu s'éteint sur des strates flottantes. La 2ième partie respire les années Melrose à plein nez. Dommage, le début était pourtant prometteur. Cette 2ième vie de TYGER, offerte par le label Reactive/Esoteric, offre 2 titres en bonus, dont la version du single de Tyger, et Vigour; un rock électronique à saveur synth-pop qui semble paver la voie du Dream vers les années Melrose. Je n'aime pas vraiment!
Tantôt bon, tantôt mauvais, tantôt harmonieux et tantôt insipide, TYGER sent à plein nez la fin d'une époque qui agonise de son incertitude. Où est Franke? Ses séquences et percussions qui avaient toujours le don de donner une autre dimension à la musique de TD, où sont-elles? Surfant sur les miettes de d'Underwater Sunlight, cet album offre le pire, comme le meilleur, des univers de Tangerine Dream sans cette passion qui sauvait la mise sur Underwater. On sent un Franke absent qui laisse ses souliers à Froese et Haslinger. Et le résultat est déconcertant. Avec le recul on sent cette transition qu'Edgar Froese impose à son groupe dont la légende s'efface pour entrer dans les années Melrose, Miramar, TDI et Eastgate. Vous avez l'original? Vous n'avez donc pas besoin de cette réédition de la maison Esotreric qui n'apporte rien de neuf, même au niveau son. Si vous ne l'avez pas, ça reste un album honnête qui suit les tangentes d'Underwater Sunlight mais sans sa passion, sans cette envie de créer et ni sa fougue.
Sylvain Lupari (31/12/2012) *****
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