“Ce que nous avons ici est un véritable chef-d'œuvre de la MÉ contemporaine, ainsi que le berceau de la MÉ orchestrale”
1 Heaven and Hell Part I 21:58 Bacchanale Symphony to the Powers B (Movements 1 and 2) Movement 3 So Long Ago, So Clear 2 Heaven and Hell Part II 21:16 Intestinal Bat Needles and Bones 12 O'Clock Aries A Way Esoteric Recordings – ECLEC 2421 (CD 43:14) (V.F.)
(Symphonic and cinematographic)
De lents souffles apocalyptiques provenant d'un synthé nasillard ouvrent les abysses de Heaven and Hell Part I. Cinq ans après Sex Power, Vangelis appose une signature musicale qui lui sera unique avec une approche orchestrale très près des ambiances de films où les synthés se recouvrent de symphonicité aux couleurs de métal irisé et les chœurs empruntent de chtoniennes ambiances grégoriennes. Album d'un génie en devenir, HEAVEN AND HELL tranche la carrière de Vangelis Papathanassiou qui quitte son habit d'ermite folklorique ou de bohème rocker pour un caractère encore plus mystique. Nouvellement réédité par le label Cherry Red, HEAVEN AND HELL est aussi l'album de la confusion chez les fans grandissants du phénomène Vangelis. Le multi-instrumentaliste autodidacte grec se lance âme perdue dans d'époustouflantes structures symphoniques où les ténèbres sont continuellement harassées par des aubades angéliques.
Après ces lents souffles de Jéricho, Heaven and Hell Part I part à la dérobade avec un rythme débridé. Des coups de percussions embrasent la tempétuosité du premier mouvement qui bascule dans l'anarchie avec des brusques ruades qui transportent un duel sonique entre des synthés philharmoniques, des tintements harmoniques et des chœurs grégoriens dont les sombres harmonies célestes roulent en boucles sur les semonces des percussions. Ce délire sonique attache sa passion au second mouvement où Vangelis martèle une cadence austère avec de sombres accords qui étendent une minimaliste mélodie baroque. Suit un délicat piano dont la mélodie peine à percer cette opaque approche dantesque qui se voit épauler par l'English Chamber Choir. La mélodie de Symphony to the Powers B est à la fois frivole et grave, embrassant des structures angéliques comme des passages plus tourmentée. C'est un bref opéra où le ciel embrase les enfers et dont les fins accords de piano qui dansent avec des clochettes nous amènent vers les prémices de Chariots of Fire. Un album qui paraîtra quelques 6 ans plus tard. Et on arrive au tendre Movement 3 et son piano qui fait rêver ses notes dans des brumes bleutées et des brises qui chantent. Cette délicate mélodie lunaire trouvera preneur comme musique du documentaire Cosmos en 1980 et nous conduit au superbe et très doux So Long Ago, So Clear; une mélodie électronique qui deviendra le berceau du New Age et où Jon Anderson enchante avec son chant si éthéré. En fait cette finale me rappelle celle de Yes dans Relayer où un fascinant calme céleste suivait une structure de musique totalement déjantée sur Gates of Delirium. Il y a un petit parallèle à faire entre les deux œuvres.
Une ambiance très patibulaire ouvre Heaven and Hell Part II. Des vents creux soufflent sur des percussions et des pulsations de basse atones, moulant une ambiance noire où chaque souffle alimente la frayeur des chauves-souris dont l'envolée de la nuée se fond dans un maillage de percussions et tonalités hétéroclites qui se perdent dans les interstices du temps pour rejoindre la fascinante mélodie orientale de Needles and Bones. Le jeu de la basse qui remonte le courant des agiles notes métalliques est superbe et la mélodie qui scintille sous un immense pattern de carillons synthétisés l'est tout autant. Après on tombe dans la pure magie. Le mouvement de 12 O'Clock se tiraille constamment entre la belle et la bête, la cohésion et l'anarchie, le ciel et l'enfer. Des chœurs absents fredonnent sous un ciel couvert de tonnerres apocalyptiques. On y entend une voix d'oracle hennir alors que d'autres voix plus virginales susurrent aux oreilles des dieux une mélodie déchirée entre le calme et la tempête. Les percussions font des ruades et bouleversent l'ordre de la paisibilité alors que 12 O'Clock épouse la bipolarité de Bacchanale. On entend une mélodie au loin prendre forme. Sauf que le chaos régurgite ses fracas. Il n'y a pas de rythme. Juste des écots qui s'égarent dans une intense mosaïque sonique où la démesure est amplifiée par la présence d'un orchestre symphonique virtuel. Vangelis est maître de son HEAVEN AND HELL et de sa passion pour le chaos. Vient enfin les premières éclaircies de 12 O'Clock avec la superbe voix de Vana Veroutis qui apaise tous les tourments. Sublime! Et ceux qui entendent du Ennio Morricone…Il y a un peu de vrai. Aries éclate entre nos oreilles comme une fanfare électronique. Les lignes de Pulsar dans Albedo 0.39 y sont tracées. Et ce magnifique HEAVEN AND HELL se conclut par une ode lunaire. Avec A Way et ses arpèges de verres qui tombent et chantent comme des larmes de joie sur joue ridée par le bonheur. Ces larmes coulent vers le haut, chantant avec les étoiles dans une aurore boréale musicale dont la délicatesse mélancolique suivra les songes de Vangelis des années durant.
Avec ses méga impulsions orchestrales, ses chœurs aux arômes divisés entre le noir et le blanc, ses mélodies cousues de fil d'Orion et ses ruades de rythmes décousus; HEAVEN AND HELL est une véritable taloche à l'oreille. L'album est tout autant percutant en 2014, imaginer alors en 1975! C'est une véritable pierre angulaire dans la carrière de Vangelis et qui servira d'assise et d'influence pour des albums aussi importants qu'Albedo 0.39, China, Chariots of Fire et même Blade Runner. Les rythmes sont lourds, les ambiances sont puissantes et les mélodies sont célestes. La musicalité et la production sont si intenses que bien des éditions numériques en ont souffert. Et c'est corrigé avec justesse en 2013 avec une superbe remasterisation effectuée par Vangelis lui-même. Cette édition d'Esoteric Recordings est sans faille. Aucunes limitations des sources, ni distorsions des sons qui sont assez explosifs merci. La sonorité est aussi excellente que le pressage japonais de 1990. Elle vient aussi avec un beau livret qui ne dit pas grand-chose mais qui est agréable à regarder. Un chef d'œuvre de MÉ contemporaine!
Sylvain Lupari (22/01/13) *****
Comments