“Difficile à apprivoiser? Pour certains, oui! Mais Spiral reste un superbe album de MÉ qui a fait progresser l'art et qui a vieilli bien intelligemment”
1 Spiral 6:46 2 Ballad 8:32 3 Dervish D 5:16 4 To the Unknown Man 9:07 5 3 + 3 9:40 6 To the Unknown Man (Part Two) (Bonus Track) 2:33 RCA International | NL 70568 Esoteric Recordings | ECLEC 2423 (CD 41:47) (E-Prog Rock, E-Jazz, Orchestral Electronic)
Est-ce que j'ai aimé SPIRAL? Euh…Non! Et aujourd'hui? Un peu plus! Je sais, je vais recevoir une pluie de tomates (encore!?) et que ma crédibilité va même en prendre un coup, mais j'ai eu énormément, et j'ai encore un peu, de difficulté à tomber sous les charmes de cet album. Un album qui pourtant fut une véritable révolution dans la MÉ puisque c'était le seul à avoir été conçu autour des incommensurables possibilités du synthétiseur Yamaha CS-80. Et SPIRAL respire toute la complexité de cet instrument avec un Vangelis Papathanassiou désireux d'en soutirer le maximum sans pour autant tomber dans la dissonance, dans l'expérimentation ou dans l'improvisation. Tout le contraire! Vangelis réussi l'improbable; transcender, au niveau technique, Heaven and Hell et Albedo 0.39, tout en conservant cette fabuleuse approche de mélodie si mélancolique qui nimbera le très sublime To the Unknown Man. Mais avant, il y avait le plein d'autres tons qu'il fallait savoir apprivoiser si on recherchait un contenu plus musical. C'est dans le cadre de notre émission de radio, Murmure du Son, que j'ai redécouvert cet album qui a foutrement bien vieilli.
C'est comme un effet de gros bouchon sonique qui déborde, comme un drain que l'on vide et que les particules soniques se ruent vers le goulot, que la pièce-titre s'arrime à notre lobe d'oreille. On regarde la pochette et c'est de la créativité à l'état pur car la musique reflète en tout sens la photo. Ambiant, Spiral est une spirale de séquences d'arpèges qui se suivent à la queue-leu-leu, comme un serpent sonique qui mue constamment afin d'atteindre des couleurs plus éclatantes et une vélocité dans ses mouvements plus fluide. Vangelis réussit à attacher une approche mélodique dans des explosions orchestrales uniques à sa signature pour atteindre une finale explosive. Ça m'a pris quelques écoutes et j'ai fini par aimer. Mais ce fut différent avec Ballad! Un titre sombre et assez étrange qui progresse avec des boucles de synthé et des saccades de violons fantômes. Ce titre est ponctué d'explosions, tant des arrangements que des percussions, qui font que les bouts de rythmes éphémères retournent dans les embryons ambiosoniques où les synthés gémissent autour des chants murmurés par Vangelis. Ces excès de rythmes explosifs deviendront sa signature. Dervish D propose une structure de rythme saccadée et répétitive qui est nouée autour des spasmes de séquences, un peu à l'image de Pulstar dans Albedo 0.39 mais un peu moins musical je dirais. Les synthés sont très musicaux, quasiment lyriques, et les percussions ajoutent une teinte de Jazz-rock à ce titre dont les nuances et les variances dans l'écoulement des séquences ajoutent à son charme. C'est l'exemple d'un titre que je trouvais cacophonique aux premières écoutes et que j'ai fini par priser au fil des ans. To the Unknown Man est le joyau de ce 3ième album de Vangelis chez Polydor. On y retrouve toute son essence avec une ligne de basse séquence qui trace un sobre mouvement sautillant où s'accrochent des notes sautillant en parallèle et tournant en boucle sur une rythmique ambiante et pulsatoire. Ces notes donnent le frisson à cause d'une délicate intensité où la morosité côtoie la gaieté momentanée. Et les effets Vangelis s'accumulent; brume métallisée qui semble fredonner, roulements de tambour et effets symphoniques nourrissent un crescendo qui vous ronge les émotions. C'est un des beaux morceaux de Vangelis et je soupçonne qu'il est peut-être la genèse de Chariots of Fire.
3 + 3 est un très beau titre qui allie ces mouvements de séquences tournoyant en spirales, on dirait des iules qui courent pour copuler, à de pompeuses mélodies cristallines dont les notes hautes nous perturbent la mare à frissons. Le mouvement déploie une fascinante progression symphonique avec ces solos aux parfums de trompettes criardes, un peu comme ces trompettes qui annonceraient la fin des temps, qui ricanent et qui dansent dans une finale bourrée d'explosions orchestrales. To the Unknown Man (Part Two), qui nichait sur le single de l'époque (To the Unknown Man), est le titre en prime sur cette réédition remixée par Vangelis et qui est offerte par Esoteric Recordings. On y entend peut-être des légers parfums du grand frère de son, mais c'est plutôt à un titre de Jon & Vangelis, The Italian Song, que je pense lorsque j'entends cette délicate berceuse très onirique avec des arpèges très mélancoliques qui chantent dans des nuages de prismes. Les arrangements, les voix, l'approche romanesque et rêveuse ainsi que le niveau d'émotion unique à Vangelis apportent énormément de frissons à cette courte mais savoureuse ballade pour âmes nostalgiques.
Les différents horizons et les brusques virages dans SPIRAL en font un album complexe et un peu compliqué à apprivoiser. Un peu comme dans Albedo 0.39, mais dans une enveloppe nettement moins musicale et plus expérimentale, Vangelis vise tous les styles, accentuant ce manque d'homogénéité qui était sa signature de l'époque. Il y a de très bons moments et d'autres clairement plus difficiles que j'ai appris à apprivoiser avec les ans. Je pense entre autres à Dervish D et 3 + 3. C'est l'indice d'un album très avant-gardiste qui a savoureusement bien vieilli.
Sylvain Lupari (11/04/16) *****
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